LE VAL D AJOL

L'année de la misère : 1815-1816

Extrait de :

« Éveil à l'histoire du Val D'Ajol ».

écrit par Mr Gérard Jacques, Instituteur honoraire.


Ce sont les souvenirs rapportés par Monsieur Jean Joseph Arnould, premier Maire du Girmont, commune issue d'une division du grand Val D'Ajol.


« Bien qu'en l'année 1816, (surnommée à bon endroit, l'année de la misère), je n'eusse que six ans, je me rappelle très bien quelques faits si rares, et si extraordinaires, qu'ils ne sont pas sortis, et ne sortiront pas de ma mémoire.

D'abord, je me souviens que l'avoine a été prise sous la neige, et qu'on en a récolté, au haut des « champs Peutat », près de la chênaie Danis, le 25 Janvier 1816.

En 1815, il n'y eût que 22 jours sans pluie, et au mois d'octobre, dans la plaine, les froments moissonnés étaient sous la neige. Ce qui amena la disette de 1816, misère à jamais mémorable dans ce pays, faute d'avoir du blé de l'étranger.

Ce que je me rappelle le mieux, malgré mes six ans, c'est la quantité de mendiants qui remplissaient les chemins comme une véritable procession, avec un vase, pour mettre du lait : ce qui était le moins rare.

Le pain était rare. Le seigle et l'avoine, de très mauvaise qualité, n'avaient presque rien rapporté. Le seigle se vendait 100 francs le résal (environ 160 litres), le pain de boulangerie, 20 sous la livre, et les pommes de terre, 6 francs la quarte (environ 40 litres).

Jean Deil Voirin, notre voisin, en acheta à ce prix à Remiremont, pour les mendiants. On en donnait souvent qu'une, et le mendiant était bien content en la mangeant de suite, comme une bonne pomme, et une pomme de terre valait encore mieux que l'herbe, qu'on trouvait très souvent, dans la bouche des individus morts, aux bords des chemins.

La meilleure vache du pays, se vendait 100 francs , le même prix qu'un résal de seigle. Dans cette situation, une grande quantité d'individus, jusqu'alors raisonnables, succombaient à la tentation du vol !

On volait en pleine rue, le pain à un passant ! Chez les boulangers, on cassait les vitres derrière lesquelles on voyait du pain ! Il y eût même quelques fours percés, afin d'y voler le pain, dont on en sentait l'odeur de cuisson. Cuit ou non, on le mangeait tel-quel.

La nuit, on enfonçait la porte des étables pour voler les bestiaux, on mangeait les chiens, les chats, et toute charogne trouvée partout.

Les prisons étaient remplies de personnes qui aimaient mieux être détenues, que de mourir de faim au bord d'un chemin.

Un grand nombre de personnes du hameau du « Gravier », mourut, et plus particulièrement les enfants. Cette mortalité, due à la misère, fut encore augmentée, aux dires des médecins, par l'usage d'une plante appelée « renouée bistorte », et, vulgairement « lanterne », ou « lantrelle ». Cette plante pousse les premiers jours de printemps, avec des feuilles larges et abondantes. Les affamés se mirent à en manger. L'usage immodéré de cette herbe faisait enfler la tête, d'où la mort qui eût lieu non seulement chez Jean Viau, mais aussi chez Xavier Babel, dont tous les enfants moururent.

Ma mère voulut aussi essayer des feuilles de « lanterne », et malgré sa bonne santé, elle a dit, plus d'une fois, qu'elle n'avait jamais vomi, que pour avoir mangé de cette herbe. (on la préparait comme des épinards.) »